Le 20 juin prochain, Le Chanmurly Asbl participera à l'action prévue Xavier Neujean !
C'est long mais c'est nécessaire de lire TOUT pour comprendre que le secteur de l'Aide à la Jeunesse est plus qu'en crise ! Et que les enfants en danger en sont les premières victimes ...
MERCI à tous nos collègues pour leur dévouement et leur énergie malgré une réalité décourageante et dure émotionnellement ! Ils sont formidables !
" Je m'appelle LEO, aujourd’hui c’est mon anniversaire… j’ai 9 ans.
Comme cadeau, j’adorerais voir mon frère et ma sœur mais cela n’est pas possible. Ils n’habitent pas avec moi. On m’a dit que mon frère vivait à Tournai dans une famille rien que pour lui, quelle chance. Et ma grande sœur de 16 ans est dans un internat. Il paraît qu’elle a l’âge de vivre bientôt seule… Quant à mes parents, comme je suis loin de chez eux, je ne sais pas s’ils sauront venir me voir cet après-midi avec ma petite sœur qui a 8 mois depuis hier !
Cela fait 6 mois que je suis dans une nouvelle maison à Liège, ça s’appelle un SRG. Il paraît que je vais enfin pouvoir rester ici… enfin ça on me l’a déjà dit avant… Ils font des promesses qu’ils ne peuvent pas tenir.
Quand j’étais plus petit, il y avait pas mal de violence et de cris à la maison, sûrement parce qu’on faisait trop de bêtises avec mon frère et ma sœur. En plus, je n’allais pas souvent à l’école. D’ailleurs, c’est mon instit qui a contacté le SAJ. Là, j’ai vu une Madame qui nous a dit « on va vous aider mais il faudra être patients ». Elle a parlé d’un service qui allait venir chez nous et ça a effectivement pris longtemps. On a beaucoup attendu…
Un jour, deux éducateurs se sont présentés à la maison. Ils venaient toutes les semaines, je les aimais bien mais ça s’est terminé… Je n’ai pas trop compris mais ils ont dit qu’il fallait autre chose pour moi, que je n’étais pas en sécurité à la maison. Pourtant je suis resté chez moi encore longtemps avant de partir. Je crois que ça a duré toute mon année de 1ière primaire.
Puis un jour, la police est venue me chercher à l’école ; j’étais tellement gêné. La dame que j’ai vue dans un bureau au SAJ m’a expliqué que j’allais être placé en institution le temps que papa et maman aillent mieux. Mais qu’en attendant de trouver une place, j’irai vivre 40 jours dans une maison à Charleroi avec d’autres enfants comme moi, pour me protéger. Mais en fait, ç’a été très difficile. J’ai vraiment eu très peur. Il y avait cette grande fille qui frappait, criait. Les éducateurs disaient qu’elle n’avait pas sa place dans ce centre. Ils faisaient de leur mieux mais moi j’aurais eu besoin qu’on m’écoute plus, qu’on prenne soin de moi.
Après ce centre, j’espérais quand même retourner chez mes parents mais la dame du bureau m’a dit que j’allais devoir vivre ailleurs pendant 40 jours. Encore ! Je suis allé dans une autre maison, à Verviers. Là, il n’y avait pas une grande fille qui crie et qui fait peur. J’aimais bien cet endroit avec son grand jardin. Madame Valérie était super gentille et je commençais à beaucoup lui parler. Elle aussi je crois qu’elle m’aimait bien ; même avec mes colères et mon excitation. Mais un jour, elle n’est plus venue travailler, à cause d’une grosse fatigue paraît-il.
Un mardi, Pierre (un autre éduc) m’a annoncé que j’allais retourner chez mes parents ! On ne voulait donc plus me placer ? Papa et maman allaient mieux ? J’étais super content ! Je devais donc montrer que j’avais fait des efforts, que j’allais être gentil et bien écouter leurs règles. Malheureusement, cela ne s’est pas passé comme je l’espérais… Un soir, j’ai tellement fait une grosse crise que papa et maman m’ont conduit à l’hôpital. Je n’ai pas tenu ma promesse d’être gentil… Là, j’y suis resté quelques semaines pour faire plein de tests, voir plein de gens... Je n’ai pas tout compris, mais c’était sûrement pour voir ce qui cloche chez moi. L’hôpital, on y va quand on est malade, non ?
Avant que je ne quitte l’hôpital, un monsieur du SAJ que je ne connaissais pas m’a expliqué que j’allais être placé dans le SRG… et moi qui croyais qu’ils avaient oublié cette solution… C’est là que je suis maintenant … "
Léo, 9 ans
Ce témoignage fictif est pourtant si criant de réalisme ! Léo aurait aussi pu s'appeler Laure, Kaleb, Camille, Diego, Giulia, Dylan, Leila... Dans l’arrondissement de Liège, plus de 1000 enfants sont dans une situation de danger et sans aides adéquates. Au travers de ce récit inspiré des enfants que nous rencontrons chaque jour, nous vous avons raconté leur histoire…
Du haut de ses 9 ans Léo, comme énormément d’enfants qui lui ressemblent, a déjà rencontré beaucoup de personnes qui souhaitaient l'aider, à qui il a raconté son histoire et qui finalement, sont partis comme Madame Valérie.
Ces enfants perdent confiance en l'adulte, en l'avenir mais surtout en eux. Ils n’y croient plus… « Qu’ai-je fait pour en arriver là ? De quoi suis-je coupable ? Ne suis-je pas suffisamment beau, gentil pour qu’on s’intéresse à moi ? Je ne dois pas être important, unique, aimable », en arrivent-ils à penser.
Les professionnels ont pourtant essayé d’entendre leur détresse, de les accompagner dans leurs émotions, de créer du lien afin de restaurer leur confiance. Nous savons que quand on se sent abandonné par les adultes, il est difficile de faire confiance à nouveau. Il est démontré que la répétition de ruptures abîme la construction et la sécurité de l’enfant.
Bref, Léo est un enfant de l’Aide à la Jeunesse avec un sac à dos
bien trop lourd pour son âge…
Nous, acteurs de terrain exerçant dans le secteur de l’Aide à la Jeunesse, n’arrivons plus aujourd’hui à remplir pleinement nos missions, générant des sentiments d’impuissance dans nos équipes et de culpabilité chez les enfants/jeunes que nous rencontrons, lesquels perdent chaque jour un peu plus confiance en l’adulte.
Les moyens alloués au secteur et le dysfonctionnement sociétal nous amènent à ne plus pouvoir garantir les obligations décrites par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, signée par la Belgique en 1989. Pour rappel, son principe directeur est que tous les enfants doivent être considérés comme égaux. Ce texte se veut donc lutter contre toutes formes de discriminations et a pour but de toujours agir avec la perspective du bien-être de l’enfant (lui permettre de grandir en bonne santé, d’avoir accès à l’éducation, de se développer au meilleur de son potentiel, de s’exprimer et d’avoir des perspectives d’avenir). Depuis 30 ans, ce texte novateur pèse sur les lois qui régissent les pays signataires, dont la Belgique. Il est le premier instrument international qui introduit les droits de l’enfant comme une obligation juridique et contraignante. Nous n’avons donc pas le droit de l’ignorer !
Aujourd’hui, une part importante des interventions tombe sous le couvert de la gestion de l’urgence, sans solution, sans pouvoir toucher le fond des problématiques existantes, et ce au détriment des bénéficiaires. Dans de trop fréquentes situations, nous constatons que nous ne stoppons, ni ne soignons les blessures des enfants touchés parfois très tôt dans leur parcours de vie. Le manque criant en possibilités d’orientation, d’accompagnement et de suivis adaptés contribue au maintien et à l’amplification de ces blessures, avec l’émergence de séquelles profondes et durables chez les enfants, leurs parents, leurs familles d’accueil.
EST-CE CE PROJET DE SOCIÉTÉ POUR L’ENFANT QUE NOUS VOULONS ?
Une société où l’intérêt supérieur de l’enfant est mis à mal, voire bafoué ? Où sa considération n’est pas notre cheval de bataille ? Où la maltraitance institutionnelle vient s’ajouter à la souffrance familiale ? Où les intervenants sociaux des services privés et publics s’épuisent et se questionnent sur leurs raisons d’être et de faire ?
Bien sûr que NON !
Nous sommes persuadés que l’Aide à la jeunesse et les autres secteurs adjacents (AVIQ, santé mentale, enseignement…) sont unanimes pour dire que l’enfance doit rester une priorité, à plus forte raison lorsque les enfants sont en danger. Il ne serait pas concevable et juridiquement inacceptable de penser différemment.
Tous ensemble, nous avons un rôle à jouer en nous mettant au travail. En plus des besoins indéniables en termes de moyens humains et financiers, il est urgent que l’ensemble des acteurs de terrain, des femmes et des hommes politiques des secteurs directs et indirects de l’enfance se rencontrent et prennent des décisions fortes dans l’intérêt des jeunes. Cela ne peut plus attendre !
N’oublions pas que l’enfant est l’adulte (et donc aussi le parent) de demain…
Lettre rédigée par "le collectif liégeois des acteurs de l’aide et de la protection de la jeunesse constitué de différents acteurs : le SAJ, le SPJ et différents services privés"